Sri Mayapur et sectarisme

Publié le par charles

Un avion Katmandou – Calcutta clôt donc le chapitre Népalais.

A l’aéroport, c’est Indranil, le fils de Bishnu Karmarkar qui vient me chercher. Bishnu (et non pas Vishnu, on sait rester à sa place en Inde), le coordinateur de l’association SMVS, est en effet à l’hôpital car il souffre d’une fièvre Typhoïde…Heureusement, je suis vacciné.

Indranil a 25 ans et est l’assistant de son père au sein de SMVS. Nous partons directement en voiture pour Sri Mayapur, distant de trois heures et demie. Il ânonne quelques mots d’anglais et surtout quand il ne comprend pas ce que je lui dis il n’ose pas le faire remarquer. La conversation est donc fastidieuse. Je parviens difficilement a récolter quelques informations sur l'association, l'école, et sur la ville.

A 22h, je suis installé dans un hôtel et une chambre plus proches de la prison que du lodge. Les murs, recouverts d'une peinture jaunâtre et le carrelage blanc sont propres, mais il n'y a ni télé, ni wi-fi, ni eau chaude, malgré un prix élevé comparé aux standards locaux. Je me couche, impatient de découvrir l'école le lendemain.

De la musique indienne crache ses décibels jusqu'à une heure du matin, et à trois heures, une sonnerie stridente me réveille. Je me demande s'il s'agit d'une alerte au feu, mais ne percevant pas de mouvements, je me rendors. Pour bien terminer cette nuit, le doux son de travaux me sort du lit à 7 heures. J'ai l'impression que l'ouvrier tenant un marteau l'abat sur mon lit tellement le bruit est assourdissant.

 

Surprenantes découvertes

 

En attendant Indranil, je décide d'enquêter sur l'endroit où j'ai atterri, et réussis tant bien que mal à glaner quelques renseignements, surtout en discutant avec une Québécoise qui travaille dans un autre hôtel.

« -Vous n'êtes pas un dévot ? me demande-t-elle

- Ah non pas vraiment...fais-je, surpris. »

Elle m'explique alors que nous nous trouvons dans un grand centre ISKCON, qui est l'acronyme anglais pour l'organisation « Association internationale pour la conscience de Krishna ». Rien que ça ! Le centre ISKCON de Sri Mayapur est important et constitué de temples, maisons de prières, librairies, boutiques de souvenirs dédiées à Krishna, gargotes et hôtels. Cette religion ? secte ? est une confédération planétaire fondée en 1966 et composée de plus de 400 centres, dont trois en France. Elle compte environ 200 000 adeptes dans le monde entier, même si le chiffre est difficile à vérifier. Des dévots travaillent dans les centres, et des pèlerins viennent régulièrement pour une retraite et pour méditer. Toutes nations sont représentées, des Indiens bien sur, mais aussi beaucoup de Russes, d'Américains, de Canadiens, et d'Australiens. Il y aurait aussi des Français.

Je suis très étonné de découvrir cet endroit pour le moins original. Je croyais rejoindre un petit village indien paisible, et je trouve une petite ville de 10 000 habitants environ dont l'économie tourne essentiellement autour d'ISKCON.20120117 ISKCON

Tout cela ne me plait guère, et je lis en surfant sur internet que l'organisation est controversée et considérée par certains comme une secte, sans que ce soit l'opinion générale cependant.

Krishna est un des avatars de Vishnu, un des trois dieux principaux de l'Hindouisme, et le dieu le plus important pour tous les habitants du Bengale Occidental, état dans lequel je me trouve et dont la capitale est Calcutta (ou Kolkata). Un gourou quelconque a fondé un mouvement plus organisé que les autres il y a une cinquantaine d'années donc.

Ce premier jour et les suivants, j'aurai l'occasion d'observer les pèlerins, Indiens comme étrangers. Ils ont pour la plupart le crane rasé, hormis quelques mèches à l'arrière du crane, du plus bel effet. Ils portent dhotis (pagne Indien pour hommes), saris et sandales, et je détonne avec mon jean ou mon pantalon-treillis.

Ils portent en permanence, attachés à la main qui est plongée dedans, de petits sacs de toile qui contiennent des chapelets composés de 108 billes de bois. Les pèlerins et dévots doivent égrener ce chapelet en récitant à chaque boule le mantra :

« Hare Krishna Hare Krishna

Krishna Krishna Hare Hare

Hare Rama Hare Rama

Rama Rama Hare Hare »

Et ils doivent répéter cette opération seize fois par jour ! Dont une fois pendant la nuit, d'où l'alarme stridente que j'avais prise pour une alerte au feu, qui retentit partout dans ISKCON à 3 heures du matin. Il n'y a pas d'heure pour égrener un chapelet.

La foule est assez dense, et se pousse en continu aux portes des temples jusqu'à 21h. Un immense temple est d'ailleurs en construction, il fera 100 mètres de haut, et devrait être achevé dans 7 ans. D'autres bâtiments fleurissent un peu partout, à l'intérieur d'ISKCON et en-dehors, pour répondre à l'affluence toujours croissante de pèlerins.

20120118 ISKCON 2eme hotel

The English teacher

 

Ne voyant pas venir Indranil à l'heure de notre rendez-vous, je pars à la recherche des bureaux de SMVS (Sri Mayapur Vikas Sangha), l'association dont dépend l'école dans laquelle je vais travailler. Cette ONG n'a fort heureusement aucun lien idéologique avec ISKCON, ils reçoivent simplement un peu d'argent de leur part. Car ISKCON est riche.

Indranil arrive avec 2 heures de retard, me sort une explication vaseuse que je n'écoute même pas, et nous partons à l'école.

J'y fais la connaissance du directeur, Vikash, et des autres enseignants qui se présentent tous à moi, et suis bombardé directement en classe pour démarrer les cours d'anglais.

Les admissions sont toujours en cours puisque la rentrée a eu lieu deux jours avant, et elles ne seront pas closes avant le 15 février. Les élèves sont pour le moment 330. Ils étaient 480 lors de la dernière année scolaire et la barre des 500 devrait être dépassée cette année.20120115 Sri Mayapur Ecole

L'établissement accueille les enfants dès la crèche et la maternelle, et les classes 1 à 7. Ce qui correspond aux ages allant de 2 à 11 ans, les classes 1 à 7 étant l'équivalent du CP à la 6eme en France. Ces enfants viennent des villages alentour, et vivent dans des familles encore plus défavorisées que les autres.

Ils trouvent très amusant d'avoir un professeur étranger, et je me vois assez vite oblige de taper du poing sur la table et de hausser le ton pour me faire respecter. J'enseigne dans les classes 2 à 7, mais nous décidons après quelques jours avec le directeur, Vikash, que je me concentrerai sur les classes 4 à 7. Pour le moment, les classes 5 à 7 sont mélangées, en attendant la fin des admissions, ce qui ne rend pas la tache aisée.

Les niveaux d'anglais sont très disparates. Certains, rares, se débrouillent plutôt bien, d'autres n'y entendent rien. Ils connaissent à peu près tous les chiffres, l'alphabet, les couleurs et annoncent avec fierté : «  My name is Sohel, Monorama, Rohon, Akrash... » Mais les plus mauvais d'entre eux, quand je leur demande de faire un exercice de leur livre, se contentent de recopier l'énoncé, sans le comprendre le moins du monde. Au moins savent-ils tous lire et écrire.

20120105 Sri Mayapur Ecole

Étant seul avec eux, c'est assez complique de communiquer, aussi au bout de quelques jours je décide d'aller chercher d'autres livres, de niveau inférieur, pour reprendre les basiques et les motiver davantage. Ce n'est bien sur pas de leur faute, et il suffit de se rendre compte que le seul professeur qui parle anglais correctement est le directeur. Un des enseignants, Rajesh, qui s'occupe de sciences et d'anglais, est d'un niveau très limite en anglais...

Les horaires de l'école sont de 10h30 a 15h30, avec une courte pause au déjeuner. C'est peu, d'autant que le rythme des cours ne me paraît pas particulièrement soutenu. J'assure des cours d'anglais le matin, et l'après-midi, place aux activités sportives, et notamment le football, auquel quelques fillettes s'adonnent avec entrain.

Je prends beaucoup de plaisir à enseigner à tous ces enfants, même si l'animation de ces petits diables est parfois usante, et en tout cas après l'école je suis éreinté !

Je prends mon rythme, et en-dehors des heures de cours, vais au bureau de l'association pour travailler et les aider sur quelques sujets. Malheureusement, Bishnu, mon contact, est toujours malade et son état ne s'améliore pas puisque suite a sa typhoïde, il souffre désormais d'une infection de poitrine. Du coup, je m'ennuie ferme car il n'y a rien à faire à Sri Mayapur, à moins d'être un « Hare Krishna ». Ce qui ne risque pas d'arriver.

Je passe du temps sur internet, car le centre ISKCON est dote de Cybercafés, et passe mes soirées à écluser la provision de livres que j'avais pris soin de refaire à Katmandou. A ce rythme je vais vite être à court.

 

Exploration et opérations

 

L'association Développement sans frontières en France, qui m'a envoyé à Sri Mayapur, avait entrepris de faire mener une mission exploratoire, tout comme celle que j'ai menée avec Junior Achievement Nepal a Katmandou. Mais la jeune fille qui était venue avait été rapatriée pour raisons médicales et n'a jamais donné de nouvelles par la suite. Elle est en vie mais n'a plus répondu et n'a pas fait parvenir son rapport. Ma mission « opérationnelle » d'un mois et demi à l'école est donc assortie en complément d'une mission exploratoire. Mais sans Bishnu, je peine à récolter les informations sur SMVS, qui a de nombreuses autres activités en-dehors de l'école, comme une polyclinique, une ambulance qui fait le tour des villages des alentours, des ateliers à tisser dédies aux femmes, etc.

L'ambiance de la ville me pèse, car même si je respecte toutes les fois et les croyances, les dévots et pèlerins d'ISKCON ne donnent pas une image épanouie et n'incitent pas du tout a la discussion. Pradyut, un project officer de l'association m'explique qu'ils sont là pour méditer. Ce qui ne les empêche apparemment pas de mettre de la musique à fond à toute heure du jour ou de la nuit, musique où revient évidemment en boucle Krishna. « Krishna je t'aime, Krishna je t'adore... »

De plus, cette « religion » prône la privation d'alcool, de viande, de jeux, etc. Adieu donc vaches, cochons, poulets, bières blondes...

 

20120120 Sri Mayapur village

 

S'en résulte pour moi un désert relationnel, seulement rompu par Vikash le directeur de l'école et Pradyut, les deux seules personnes que je connaisse qui maitrisent suffisamment l'anglais pour tenir une conversation de plus de deux phrases.

Le temps s'écoule donc dans une franche dichotomie. La mission à l'école, même si elle n'est pas toujours simple, me plait beaucoup. Mais la vie à coté a très peu d'attraits, ce qui est une euphémisme pour dire qu'elle est assez désagréable. Mais je garde la (ma) foi !

Publié dans Récits

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J
Tu sais à quoi me fait penser la sonnerie stridente qui retentit dans ton hôtel à 3h du mat' ? A "Astérix en Helvétie", quand l'aubergiste gueule "COUCOU !!!" en plein milieu de la nuit pour que<br /> tous les clients retournent leur sablier ^^<br /> Et sinon, si tu veux pratiquer ton anglais et te consacrer à de saines lectures, je peux t'envoyer le pdf tu dernier tome de Game of Thrones (sorti l'été dernier), si ça te tente... ;-)<br /> En tout cas merci pour ces articles, je m'ennuie à mourir dans ma nouvelle école (Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) donc je suis ravie de pouvoir<br /> m'évader un peu (même si je suis aussi un peu jalouse, j'aimerais tellement être à ta place...).<br /> Bisous mon couz' !
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C
@ Ronan : Merci ! Oui je reviens le 8 mars.<br /> @ Vince : Juste merci<br /> @ Papa : N'en jetez plus...<br /> @ M-C : Je m'accroche !
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M
Effectivement les conditions ne sont pas top et techange des premiers mois ! heureusement que les enfants sont là et tu dois vraiment partager quelque chose de fort avec eux<br /> En tous les cas tes récits sont toujours aussi passionnants<br /> à très vite pour le prochain<br /> Mille bisous<br /> MC
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D
Comme d'habitude : intēressant, plein d'observations, de l'humour, etc . Un vrai reportage. Bravo
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V
Merci, Charles. Toujours aussi sympa de te lire !
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