Pendant ce temps, à Santa Cruz...

Publié le par charles

Après avoir pris mes marques, la routine s'installe à Santa Cruz, entre missions et vie locale.

 

Inégalités sociales

 

 

Lors de mes différentes démarches, entretiens, réunions et discussions informelles, j'ai l'occasion d'observer les inégalités sociales, très fortes ainsi que dans de nombreux pays pauvres.

La classe moyenne est ténue en Bolivie, et les ressources sont très mal réparties. Santa Cruz, même si elle est la ville la plus riche, reflète ces inégalités. Nombre d'emplois peu qualifiés offrent des rémunérations mensuelles de mille Bolivianos ou moins, soit 120 euros. De l'autre côté de l'échelle, se situent les cadres aux salaires pouvant représenter dix à cent fois ce montant.

Je suis passé dans les quartiers riches de Santa Cruz, où sont regroupées les habitations luxueuses et les résidences. Je suis rentré dans l'une d'elles car Ximena a une cousine, Lorena, dont le mari occupe un poste important dans l'industrie du pétrole. Barrières à l'entrée, sécurité privée, tout est fait pour que les habitants se sentent dans un domaine hors de la réalité et inaccessibles aux relents de la misère des quartiers pauvres. Les maisons y sont cossues mais presque alignées les unes à côté des autres, et il n'y a pas d'espace vert hormis de minuscules jardinets à l'arrière. L’intérieur en revanche est fourni et luxueux, avec gros canapés en cuir, mini-bar bien achalandé, et aux murs des dizaines de photos de Lorena et de son mari en voyage dans tous les pays d'Europe. C'est censé en mettre plein la vue aux visiteurs à mon avis, comme un besoin de reconnaissance de leur statut social. Deux personnes à demeure travaillent pour la famille (ils ont deux enfants), et il est choquant de constater que ces personnes sont traitées comme des moins-que-rien.

Dehors, les voitures étrangères, gros 4x4 ou berlines, sont légion, ainsi que les restaurants et hôtels multi-étoilés pour hommes d'affaires avisés.

 

Ces ghettos dorés sont rares, et le reste de Santa Cruz est une grande ville étendue, sans relief, composée de maisons simples et de très rares petits immeubles à deux ou trois étages. Les routes cabossées sont sillonnées par les très nombreux minibus à 1,80 pesos (20 centimes) le trajet. Ceux-ci ont la particularité de disposer d'un itinéraire fixe mais sans arrêt et il faut héler le chauffeur, pour la montée comme pour la descente. Ils sont également très « micros » puisqu'ils ne font pas plus d´1 mètre 70 de hauteur (le Bolivien est assez petit) et je dois me contorsionner à l´intérieur. Le Bolivien est assez flemmard également car plus d'une fois j'ai pu les voir faire stopper le bus vingt mètres à peine après le précèdent arrêt…

Les quartiers sont animés par les grands marchés locaux, qui vendent de tout, dans lesquels j'aime à me perdre.

Pendant mon temps libre, je me promène ainsi, et passe également du temps à flâner sur la place principale. Le climat est toujours très agréable, et le soleil brille quasiment en permanence.

Un autre aspect s'est fait jour, celui-ci propre au département de Santa Cruz : le culte de l'apparence.

Ici est le paradis des concours de Miss, des mannequins et de la femme-objet. Celles-ci sont en effet soignées et prêtent une grande attention à leur apparence. Cette dimension superficielle, alliée à des mœurs très latines, offre un cocktail détonant de passion et d'ivresse des sens dont le parfum se dégage de la ville, une fois la nuit tombée.

 

 

Foyer d'accueil

 

Au bureau de la Plataforma Unidos, je travaille donc avec Ximena pour saisir toute la thématique et les projets, mais je suis aussi en charge d'animer les enfants du patio Don Bosco, un centre d'accueil dit « de passage », pour les enfants entre 4 et 12 ans.
2012072501 Patio Don Bosco

 

Les enfants qui viennent ici sont envoyés par les services de la mairie, l'institution « Defensoria »,2012072506 Patio Don Bosco pour la défense des enfants, ou directement récupérés dans la rue par les éducateurs de l'association, auquel cas ils viennent de leur plein gré.

Leur présence ici est une première étape, au cours de laquelle leur profil va être ausculté afin de décider quelle sera la meilleure solution pour la suite : rejoindre un des centres d'accueil permanents de la Plataforma qui sont environ une dizaine dans le département, rejoindre un centre qui n'en dépend pas, ou même retrouver leur famille.

Ils sont logés à plein temps au patio, et les dortoirs sont séparés entre celui des garçons et celui des filles. Une cuisinière présente toute la journée leur prépare des repas collectifs, qui sont dégustés dans le calme, rythmé par les bénédicités et actions de grâce, car l'association « Proyecto Don Bosco » a comme son nom l'indique une dimension religieuse, modérée.

Pendant la journée, les enfants jouent, regardent un peu la télévision, et ont parfois des activités plus intellectuelles. Le séjour dans le centre étant provisoire, il n'y a pas de scolarisation. Les enfants pourront en retrouver une plus ou moins aboutie dans les centres dans lesquels ils seront redirigés ensuite.

Ils disposent d'une grande salle de jeux, munie de jouets en plastique, de jeux d'échecs et de dominos, ainsi que d'un vétuste baby-foot. Celui-ci est si vieux que les joueurs se détachent, ainsi que les barres. Les parties endiablées s'en trouvent aussi médiocres techniquement qu'esthétiquement mais on s'amuse et c'est là l'essentiel.

 

Les activités intellectuelles se limitent à des classes de mathématiques. J'en donne quelques-unes, et  m'aperçois à cette occasion que les niveaux sont très hétérogènes. Certains comptent bien et sont capables de réaliser jusqu'à des multiplications complexes, tandis que d'autres ne savent pas réaliser de simples additions, mais tous se montrent assidus, et je passe beaucoup de temps à compter sur mes doigts avec eux.

 

2012072511 Patio Don Bosco

 

J'assure aussi, plusieurs fois par semaine, la classe « d'ordinateur ». L'objectif de cette classe est de parler ensemble, pendant une vingtaine de minutes, de règles de base de savoir-vivre et de valeurs, avant de les laisser s'amuser sur les ordinateurs qui contiennent quelques jeux divertissants.

2012072521 Patio Don Bosco Clase de computo 

Nous parlons ainsi ensemble du respect, de la politesse : bonjour, au revoir, s'il vous plaît, merci. Du partage également, étayé par quelques exemples concrets comme un morceau de pain qui passe de main en main. Les enfants sont assez attentifs et jouent le jeu, d'autant qu'ils savent bien que c'est un préalable indispensable aux vrais jeux sur ordinateurs. Mais c'est un moment important au patio, une pierre apportée à l'édifice de leur construction sociale, qu'elle se poursuive ensuite en retournant dans leurs familles ou en rejoignant des centres d'accueil qui travaillent sur le long terme.

Les enfants sont très gentils, ils m'aiment bien et m'appellent « Hermano » (frère), comme ils le font avec tout le personnel du Patio Don Bosco. Ils me demandent souvent (surtout les filles) de les prendre dans mes bras, et parfois à plusieurs. Les filles justement sont très câlines, et réclament de grandes embrassades  régulièrement. Les garçons jouent davantage aux petits durs, ce qu'ils sont souvent, mais dépassent rarement les bornes. Globalement, malgré leurs itinéraires, je suis assez surpris par le respect qu'ils portent à tous ceux qui travaillent au Patio. Ils sont obéissants et sont impliqués dans toutes les tâches ménagères.

 

Je discute souvent avec les autres éducateurs, Wilma, Amelia ou Ricardo, pour essayer de savoir d'où ils viennent, quelle était leur situation avant d'arriver au patio et ce qui est envisagé pour eux dans le futur.

Je commence à connaître Ugo la forte tête, les sœurs Yoselin et Yaquelin, toujours en quête d'affection, Jorge, Jesus et Alejandro les petits malins, Judite la timide et tous les autres qui vivent ici en communauté.

Leur gentillesse, et leur tendresse pour certains, pourraient faire oublier qu'ils sont ici pour des raisons suffisamment graves comme la maltraitance, la négligence, la violence.

Une statistique effraie : 80% des enfants de Bolivie sont victimes de mauvais traitements, selon une étude de l'UNICEF. C'est souvent ceci qui amène les enfants à aller dans la rue, ce qui est loin d'être une solution mais un réflexe primaire de survie.

 

2012072526 Patio Don Bosco Juana Marlene Judite Yaquelin 

 

Les petits nouveaux du patio

 

 

Dans le quotidien du patio, il y aussi quelques moments difficiles. Un jour, cinq petits nouveaux sont présents. Un petit garçon de trois ans, qui était tout simplement perdu. Il a été récupéré dans la rue, et amené au Patio en attendant qu'une enquête soit menée pour retrouver sa famille. Il ne parle pas, et son regard, à la fois farouche et effrayé, me brise le cœur.

Juana et Marlene, deux petites filles de onze et douze ans, sont ici car elles sont négligées dans leur famille. En effet, le patriarche n'est pas leur père, et dans les familles recomposées, les enfants issus d'une première union sont souvent laissés pour compte. Elles sont vives d'esprit, et j'espère que les foyers d'accueil leur permettront d'avoir l'attention qu'elles méritent et une éducation scolaire à la mesure de leurs capacités.

Enfin, deux frères de quatre et six ans, sales et dépenaillés, sont présents, et ne se lâchent pas la main. Ils ne parlent pas espagnol, car ils sont d'un village indigène Ayoreo, qui vit en marge de la société Bolivienne.

Les services sociaux les ont retirés à leur tribu car ils étaient par trop négligés. Les deux petits bonhommes semblent complètement perdus, et, pendant que je les regarde grimper au toboggan dans la cour, j'essaye d'imaginer leur vie, passée et future, et me dis que certains sur cette terre n'ont pas été gâtés par le destin.

Le lendemain, les deux petits Ayureos sont déjà partis. Wilma m'explique qu'ils ont une tendance agressive, et qu'ils ont été envoyés dans un foyer mieux adapté...

 

Certains qui étaient là depuis quelques mois s'en vont, aussi, car ainsi va la vie de ce foyer de passage. Juan Jesus est retourné dans sa famille et Jonathan a rejoint un centre d'accueil permanent, qui dépend également du proyecto Don Bosco. Je leur souhaite de s'épanouir.

2012072517 Patio Don Bosco Yaquelin y Yoselin 

 

 

Investigations

 

 

Ma mission exploratoire, quant à elle, avance bien, et j'ai entrepris de rencontrer les huit organisations composant la Plataforma. Je vais ainsi passer une journée à Cotoca, à 45 minutes de Santa Cruz où sont situés les foyers de l'association Mi Rancho, dirigée par Gregorio et Rosa, deux Espagnols. Leur histoire est belle, car ils se sont rencontrés lorsqu'ils étaient eux-mêmes volontaires au sein de Mi Rancho, il y a de cela treize ans. Ils sont tombés amoureux du pays et de la cause des enfants, et en sont donc devenus des protagonistes engagés.

 

Parmi les huit organisations, une seule n'a pas de dimension religieuse. En effet, il se confirme que la Bolivie est un pays Chrétien très pratiquant, dans lequel la religion tient une place importante, et c'est naturellement que ces associations œuvrant dans le domaine social en sont venues à être soutenues financièrement par des organisations religieuses, Européennes pour la plupart.

Mais la crise a des répercussions malheureusement, car les fonds s'amenuisent. Le bureau de la Plataforma, par exemple, était soutenu par deux ONG, une Belge et une Espagnole, qui ont stoppé leur soutien. De quinze personnes salariées, il n'en reste plus qu'une, Ximena la directrice...

Je rencontre aussi des personnes hors des associations, afin de récolter des regards extérieurs. Comme Sébastien, le peu amène directeur de l'Alliance Française...

 

 

Le travail fourni dans toutes ces associations, et la volonté non feinte de venir en aide aux enfants que je ressens, me touchent profondément. Je mène au mieux mes deux missions, même si je suis tiraillé car j'apprécie de passer du temps avec les enfants au patio, et mes différentes démarches d'investigation sont autant de temps en moins avec eux.

 

J'aimerais venir en aide à toutes ces structures, et que mon association en France, Développement sans Frontières, puisse leur envoyer des volontaires à l'avenir, qui les supporteront dans le travail d'animation au quotidien mais aussi dans la recherche de fonds ou la communication. C'est pourquoi le travail réalisé aujourd'hui est précieux.

 

 

Publié dans Récits

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A
Ohlala, ça n'a pas l'air simple... Peux-tu nous raconter les petites choses de la vie quotidienne qui t'ont le plus surpris? Vas-y, fais nous rire un peu!
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A
Halo Charles<br /> <br /> Petit coucou de la part des Menais en vacances à Oleron sous le soleil !<br /> A bientôt<br /> <br /> Sixtine, maximilien, Castille ombline et Alexandre
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D
Particulièrement intéressante la peinture sociale et poignante la description du foyer . D.
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